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Article de Presse
Publié par watch water le 18/07/2023 - 12:00

Gafsa Nord: Politique de l'eau de l'État :La soif des petits agriculteurs et de l'eau pour les grandes entreprises et les investisseurs

"Je ne veux pas quitter la terre de mes ancêtres, je ne veux pas déménager dans les villes côtières ou à la capitale. Pour nous, les paysans de Gafsa Nord, l'eau est un droit garanti par toutes les normes et les lois. Nous sommes sur cette terre (dans la région d'al-Sawai) avant l'investisseur et l'entreprise qui ont contourné la loi et creusé des puits profonds et drainé la nappe phréatique, les puits se sont taris et les arbres avaient soif et sont presque détruits.

Les ressources de nos terres ont été vidées, et ce avec la bénédiction, la complicité et le silence de l'État. Nous nous sommes adressés à plusieurs reprises aux responsables locaux, aux gouverneurs et aux délégués des différents régimes. Nous n'avons constaté que l’alignement de ces autorités avec l'investisseur.

Cet investisseur local qui s'approprie de larges superficies de terres et exploite la nappe phréatique à son profit grâce à des puits profonds et des poches d'eau (réservoirs ouverts) "avec une voix fatiguée et affectée s’adressait l'agriculteur Abdelwahab Al Gamoudi, (un jeune de quarante ans, ayant une licence en littérature et civilisation arabe, ayant refusé le chômage et choisi l'agriculture avant que les politiques de l'Eau de l'État lui font vivre la misère et l'obligent à quitter ses terres) à l'équipe de recherche de l'Observatoire de l'eau et de l’association Nomad 08 lors de leur visite à la région.

Informations préliminaires sur l'activité agricole en Tunisie 

L'activité agricole dans la zone rurale en Tunisie est considérée comme une activité de subsistance. La superficie des terres ne dépasse généralement pas les cinq ou les dix hectares. C'est ce que rapporte le site officiel de l'organisation Siyada (souveraineté) spécialisée dans le domaine de la recherche agricole en Afrique du Nord. 3% des surfaces exploitées couvrent une superficie de 50 hectares, ce qui correspond à 34% de la superficie agricole totale.

Ces données statistiques confirment le caractère inégal du secteur agricole en Tunisie, souffrant également des phénomènes d'accaparement des terres et de dispersion de la propriété. Le secteur agricole est le seul secteur à connaître une régression de ses capacités d'embauche.
Cette capacité a dépassé les 160 mille emplois occupés entre 1994 et 2014 (chiffres de l'Institut National de la Statistique), à la suite de cette baisse, des vagues successives de migrations vers les villes côtières (Sousse, Mahdia,Monastir ,Djerba) ont quasiment vidé la zone rurale de sa population.

Le secteur agricole devient de plus en plus pauvre et plus fragile, se rapprochant dans ses caractéristiques de l'économie parallèle et non structurée. La couverture sociale ne comprend que 36,7% de la main-d'œuvre qui est principalement une main-d'œuvre féminine, saisonnière (principalement la période estivale) et peu coûteuse.
La contribution du secteur agricole tunisien à la production de la valeur ajoutée et au produit intérieur brut est passée de 20% dans les années soixante-dix à 9% au cours des dix dernières années. La majeure partie de la valeur ajoutée est monopolisée par les intermédiaires, les négociants et les exportateurs. (Et il n'y a pas de chiffres officiels du revenu agricole rural).
Cependant, l'agriculture continue à fournir environ 15% des emplois et constitue la principale source de revenus dans les régions de l'intérieur de la Tunisie.

Les délégations de Gafsa Nord avant l'avènement des entreprises agricoles 

Tous les témoignages des agriculteurs et des cultivateurs de la région de Gafsa Nord confirment que la situation agricole était meilleure il y ‘a une dizaine d’années. La région était connue, à titre d’exemple, par une production abondante de pommes de terre, ce qui n’est plus le cas de nos jours à cause de la pénurie d’eau, de la sécheresse des puits de surface et des raisons peu claires de l’approbation ou du refus de l'accord des licences de puits profonds aux petits agriculteurs en échange de les accorder aux grandes entreprises d'investisseurs.
Abdelwahab Al Gamoudi a confirmé que son puits de surface est devenu sec,que la production de certains de ses arbres fruitiers (amandes, pistaches,olives) a diminué et que d’autres arbres ont été décimés par la sécheresse et la pénurie d'eau.


La politique de deux poids deux mesures adoptée par l'Etat à travers ses différentes structures chargées d'octroyer des licences pour forer des puits profonds, ou de mettre en œuvre des décisions de remblayer des puits forés au hasard par de petits agriculteurs, est la politique officielle de l'Etat dans la région de Gafsa Nord.

"L’intérêt est toujours au profit des grandes entreprises", ainsi se résument les témoignages de Jamal Salhi, Yassin Henshiri et Jamal Kasmi, trois militants écologistes ; agriculteurs et activistes locaux pour la Justice de l'Eau qui s'opposent aux accusations environnementales portées par la société méditerranéenne des primaires « Primed » dans la région Awled Ahmed Ben Saad. Cette société a commis de graves abus que les autorités de tutelle locales et régionales n'ont pas réagi pour l'arrêter (Nous en traiterons ceci en détail plus tard).

Gafsa Nord : Les entreprises et les investisseurs agricoles assèchent la nappe phréatique et détruisent les fermes des petits agriculteurs

Des bassins d’eau gigantesques, la superficie de certains d'entre eux atteint la taille d'un terrain de football, une vaste forêt de roseaux verts, des flaques d'eau, des résidus de sel et des insectes Leishmanioses (une maladie dangereuse transmise par les insectes volants et provoquant des déformations) ce sont les résultats de l'investissement de la société “Primed”.
Ceci est un marais artificiel résultant du drainage du sel résultant du processus de dessalement effectué par la société Primed. 

Il s'agit d'une opération illégale selon les normes de dessalement de l'eau en Tunisie et dans le monde car le sel résultant du dessalement représente un grave danger pour les terres agricoles. L'entreprise n'a pas respecté les normes et les autorités locales et régionales n'ont pas réagi encore une fois, malgré la protestation des agriculteurs, ayant rencontré à plusieurs reprises le délégué de la région. Il lui ont remis les pétitions de protestation des agriculteurs dont les récoltes ont été endommagées, les arbres fruitiers plantés sur leurs terres et les citoyens sont victimes de la leishmaniose et de l'odeur désagréable de saline . Une situation qui laisse présager une catastrophe environnementale si la situation continue telle qu'elle est.

Yassine Hichri déclarait qu’ils ont protesté plus d'une fois contre cette entreprise qui, selon lui, a introduit des produits agricoles qui ne correspondent pas aux caractéristiques de la région et de son patrimoine agricole et n'a profité en rien à la région, à savoir la culture de la laitue sur 500 hectares. Tous les agriculteurs et citoyens savent de combien d'eau la laitue a besoin, d’ailleurs l’entreprise compte environ quatre puits géants non autorisés et illégaux qui ont violé l'environnement et drainé la nappe phréatique. Ce qui a affecté négativement le reste des agriculteurs de la région, détruit leurs récoltes et ont asséché leurs puits de surface. Ce qui a, également, poussé un certain nombre d'entre eux à forer des puits profonds sans permis.

La situation n’est pas différente de la région Ruwai, où quelques pistachiers poussent dans le champ de l'agriculteur Abdelwahab Al Gamoudi, qui a abandonné la moitié de son troupeau de moutons et que ni lui ni ses voisins agriculteurs ne cultivent de pommes de terre depuis plus de trois ans en raison de la rareté de l'eau. A quatre cents mètres de son lot de terre, un investisseur agricole cultive des agrumes. Ces derniers sont des cultures qui ont besoin de beaucoup d'eau et sont étrangères à la culture agricole de la région de Gafsa en général. D’après Abdelwaheb et d'autres agriculteurs de la région, rencontrés par l'Observatoire tunisien de l'eau et les représentants de Nomad 08 (suite à la réception d’un certain nombre de rapports sur les coupures d'eau et les problèmes majeurs d'eau dans ces zones.)

 

La plupart des agriculteurs de la région de Gafsa Nord étaient menacés de déplacement ou de migration irrégulière sous la forme de la poursuite de la politique de deux poids deux mesures menée par l'État et de son parti pris envers les grands investisseurs et les entreprises agricoles.

Recommandations de l'Observatoire tunisien de l'eau :

Révision de la politique de l'eau de l'État dans la région de Gafsa Nord à travers :

  •  Une Intervention urgente et rapide contre les entreprises et les investisseurs qui violent les réglementations et les lois actuellement en vigueur, que ce soit dans le forage de puits souterrains profonds ou les bassins.
  •  Permettre aux petits agriculteurs d'autoriser le forage de puits à condition que la nappe phréatique ne soit pas épuisée.
  • L'État devrait coordonner avec les représentants des agriculteurs afin de trouver une formule d’entente et d'accord qui satisfasse toutes les parties et préserve l'agriculture rurale, les moyens de subsistance de l'agriculture et la durabilité de la nappe phréatique.
  • L’intervention des autorités locales et le ministère de l'Environnement pour mettre fin à la catastrophe environnementale imminente dans la région de Awled Ahmed Ben Saad (le danger de leishmaniose causé par les déchets de la société Primed).

● Journaliste : Malek Zaghdoudi
● Photographe et graphiste : Hicham Ben Boubaker
● Photographe : Ali Kadash
● Responsable logistique : Ahmed Tababi
● Développement technique : Alaa Marzouki

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